I - LE MUR
12 / 03 / 2011
MANIÈRES DE CONSTRUIRE DES MONDES II
CONFÉRENCE AU PAVILLON DE L'ARSENAL, 2015
1 - REM KOOLHAAS : ACTION
Au commencement était l'action" : ainsi le Faust de Goethe traduit-il la première phrase de l'évangile de Saint Jean, remplaçant de manière impie "verbe" par "action". De même Rem koolhaas, encore étudiant, aura immédiatement compris, au-delà de l'espace et de la forme, l'importance des situations et des actions en architecture. L'éphémère mur de Berlin, plus que le Panthéon, la cathédrale gothique ou la Chandigarh de le Corbusier, luit vénéneusement comme une référence incontournable. Cette frontière hallucinatoire délimitait deux territoires programmatiques antinomiques- une zone d'abondance et une zone de pénurie- dont les porosités- les checkpoints- créaient, par leur animation fébrile, les lieux intenses d'un nouvel ordre urbain. Une scène traumatique qui sera transposée à l'infini dans toute son oeuvre, en autres exemples: dans une maison de luxe perdue dans la campagne hollandaise ou dans le projet non réalisé pour le Parc de la Villette à Paris, dans le futur campus Axel Springer à Berlin ou dans la casa da Musica de Porto...
2 - HERZOG & DE MEURON : TRANSFIGURATION
Maison en pierres sèches dans une structure en béton brut, poste d’aiguillage habillé de lamelles de cuivre, immeuble de logements semblable à un buffet de bois poussé contre un mur : une imperceptible étrangeté permet d’accorder à ces constructions banales l’aura que Walter Benjamin réservait aux œuvres d’art . Comme si Jacques Herzog et Pierre de Meuron ressentaient le besoin irrépressible de transfigurer le bâtiment le plus trivial, et de faire de même pour les gestes qui s’y rapportent et finissent par s’apparenter à de véritables rituels religieux. Les habitants de l’immeuble de la rue des Suisses à Paris peuvent en témoigner, qui doivent lever les mains à angles droit et pousser leurs lourds volets de métal déployé, s’ils veulent les ouvrir ou les fermer, en imitant les personnages hiératiques de la peinture égyptienne. Il n’y a plus de maison, plus de poste d’aiguillage, plus d’immeuble de logements, plus de tour non plus … La Tour Triangle saura disparaître dans les nuages et réapparaître comme une montagne devant l’horizon. Plus qu’une construction, c’est un sol qui permettra aux Parisiens d’accomplir des pèlerinages vers des hauts plateaux d’où ils contempleront leur ville comme les habitants de Los Angeles peuvent, depuis Mulholland Drive, admirer la leur.
3 - RENZO PIANO : DISPARITION
Les réalisations de Renzo Piano semblent hantées par l’idée de disparition. Elles ne pèsent pas, ne s’imposent pas, ne pontifient pas, mais se proposent comme des ambiances douces et apaisées grâce aux qualités de leur lumière, de leur température, de leur acoustique. Des milieux ( à ne pas confondre avec des espaces) qui ne renoncent pas à se caractériser par des matériaux, des textures. Métal-, verre, bois, brique assemblés sans l’aide de ciment ni de mortier, se donnent comme des matières précieuses : minerais extraits des profondeurs du sol ; sables fondus à des températures infernales ; arbres déracinés et coupés à la scie ; pavés de terre crue, cuits au four comme des pains… Des constructions qui n’aiment pas les façades et qui semblent préférer se développer sur un seul niveau pour être poreuses de toute parts : ainsi le Centre Pompidou peut il être considéré comme une accumulation de rez-de-chaussée. Mais cette architecture qui apprécie le vide (toujours à ne pas confondre avec l’espace) et peut s’enfouir pour disparaître et d’oser impudiquement la forme, en témoignent le Centre Jean-Marie Tjibaou, le Parc de la Musique de Rome ou la fondation Pathé…
4 - COOP HIMMELB(L)AU : PULSATIONS
Né dans les années 60 dans le sillage des actionnistes viennois- des artistes considérant leur propre corps comme l’objet de leurs performances – Coop Himmelb(l)au s’interroge d’abord sur la possibilité d’une architecture qui amplifierait les flux corporels : respiration, pulsation cardiaque… Ils rejoignent ensuite le déconstructivisme - un mouvement international qui cherche à produire des bâtiments capables d’établir une distance critique entre la construction et les significations qui lui sont consubstantielles – et ils conçoivent dans ce cadre des édifices qui se présentent comme de pures accumulations, refusant de reconduire aveuglement la différentiation fondamentale entre éléments portés et éléments porteurs. Leurs (dé)constructions ne veulent plus affirmer servilement le dehors et le dedans, le devant et le derrière, le bas et le haut et cherchent même à s’affranchir des lois imprescriptibles – des programmes monumentaux, traités de manière fluide pour s’apparenter à des masses nuageuses – semblent pourtant opérer un retour au source et réactiver l’une des significations possibles de le leur nom : coopérative construire le ciel.