I - LE MUR
12 / 03 / 2011
MANIÈRES DE CONSTRUIRE DES MONDES I
CONFÉRENCE AU PAVILLON DE L'ARSENAL, 2014
1 - CHRISTIAN DE PORTZAMPARC : ENTRE MÉMOIRE ET OUBLI
Les projets de Christian de Portzamparc semblent trouver leur origine dans la réminiscence, le souvenir, en réaction à la tradition du nouveau prônée par le mouvement moderne. Souvenirs d'espaces à la fois fermés et ouverts comme les jardins du Palais Royal ou la place Fürstenberg, promesses de plages se déployant à l'infini. Souvenirs plus archaïques encore, comme ces champs scandés de menhirs que l'on trouve encore en Bretagne. Comme si le geste architectural devait se rappeler et concilier en lui toutes les espèces d'espaces, sans restriction, depuis l'origine. Pourtant la rue des Hautes Formes, la Cité de la Musique ou la Philharmonie de Luxembourg, semblent hantées par la figure borgésienne du labyrinthe. Ainsi, à l'image de cette héroïne de la mythologie grecque qui défait la nuit ce qu'elle fait le jour, ces lieux de réminiscences se proposent aussi comme des pièges où l'on se perd et l'on s'oublie.
2 - JEAN NOUVEL : AU COMMENCEMENT L'ÉMOTION
Jean Nouvel travaille sur la sensation, sur l'émotion. Il s'inscrit en ce sens dans une certaine tradition moderne qui cherche à influer sur la perception pour que les espaces créés puissent apparaître plus amples, plus accueillants qu'ils ne sont réellement. Mais il pervertit ce recours à la perception en préférant exagérer les ambiguïtés et les contradictions de ses constructions, en exploitant notamment la transparence et le reflet du verre qu'il emploie abondamment. Ainsi devant les parois vitrées de la fondation Cartier le spectateur ne sait plus si ce qu'il voit est devant ou derrière lui : vu à travers le verre ou réfléchi… Ailleurs surgissent des masses opaques et vénéneuses renvoyant au sublime, cette esthétique de la terreur invoquée par Boullée et théorisée par Burke… Comme si, à l'aube du troisième millénaire, le monde ne devait plus se plier aux lois de la raison, mais se donner comme un milieu incompréhensible et magique. Comme si l'architecture n'avait nullement pour tâche de nous aider à comprendre le réel ou à le rendre plus rationnel, mais de nous stupéfier sans cesse pour mieux le réenchanter.
3 - LACATON & VASSAL : L'ESPACE ET SON DOUBLE
Lacaton et Vassal semblent a priori s'intéresser à construire un maximum de mètres carrés de surface habitable au moindre coût pour déplacer le centre de gravité de l'architecture du qualitatif vers le quantitatif. Mais une opposition générative vient cependant organiser cette propension au plus de surfaces, au plus de volumes appropriables. Une opposition qui s'exprime de manière éclatante dans la maison à Coutras ou dans le récent FRAC Nord-Pas-de-Calais : celle d'un espace minimum et de son autre contradictoire. Elle renvoie à l'une des figures majeures de la mythologie occidentale : la figure du double. Caïn et Abel, Romulus et Remus, ou surtout Prométhée et Épiméthée, le héros de la raison et du progrès et son jumeau qui valorise la déraison et l'immobilité… Ainsi dans la plupart de leurs projets s'opposent : d'un côté, un espace strictement pensé et organisé qui pourrait s'inscrire dans la continuité du projet moderne ; de l'autre, un espace supplémentaire, un espace inassignable. D'un côté, l'espace du probable ; de l'autre, l'espace de l'improbable et des possibles.
4 - DOMINIQUE PERRAULT : CONCISION
Dominique Perrault est surtout connu pour sa parfaite connaissance des matériaux et de leur mise en œuvre. Il pourrait apparaître comme le continuateur des constructeurs des années soixante dont l'élan a été brisé par l'émergence des architectes de 68 et du retour à la ville. Pourtant, la plupart de ses réalisations savent régler des questions urbaines souvent très délicates, comme en témoignent la Bibliothèque de France ou la Cour de Justice Européenne à Luxembourg. Sa démarche semble ainsi se caractériser par sa capacité à dessiner des solutions simples pour résoudre des problèmes complexes. Comme si le compliqué, l'inextricable et même l'ineffable, pouvaient trouver leur expression dans des formes claires et évidentes, sans pour autant être abusivement simplifiés.