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LES ÉLÉMENTS DE L'ARCHITECTURE

CONFÉRENCE AU PAVILLON DE L'ARSENAL - DU 12 FÉVRIER AU 16 AVRIL 2022

Qu’il y a-t-il de commun entre l’escalier, l’ascenseur, le tuyau et le rideau ? S'ils ne sont pas toujours pris pour des éléments essentiels de l’architecture et sont souvent assimilés à de simples équipements fonctionnels, ce sont pourtant des tuteurs, des prothèses qui facilitent et qui cadrent nos relations avec le monde extérieur.

 

Les escaliers ne desservent pas seulement les étages, ils nous permettent de nous élever afin de voir les choses avec un certain recul, une certaine distance ; les ascenseurs ne nous évitent pas seulement la fatigue, ils nous libèrent pour un temps de la pesanteur. Les tuyaux, dont il ne faut pas sous-estimer la symbolique ombilicale, alimentent en fluides nos intérieurs afin qu’ils se définissent comme les milieux les plus favorables à notre développement. Quant aux rideaux, ne croyez surtout pas que l’on puisse les assimiler à des éléments de décoration ! Ils font partie intégrante de l’architecture et nous permettent de vivre à notre propre rythme, en mettant entre parenthèse la tyrannie des jours et des saisons. C’est ce que nous verrons cette année en recherchant dans l’histoire et dans la production récente des exemples d’édifices où ces éléments sont mis au premier plan pour nous accompagner vers notre accomplissement, tout en annonçant les prémisses d’un monde à venir...

L'ESCALIER

Samedi 12 février 2022

Rappelons-nous de la Tour de Babel, le réel commencement de l’architecture selon Hegel. Un édifice uniquement conçu pour permettre aux hommes de s’élever le plus haut possible et porter à son paroxysme l’effort inaugural par lequel ils se sont un jour dressés sur leurs pattes arrière pour contempler sereinement l’horizon. Un bâtiment-escalier légendaire qui nous permet de nous interroger, avec le philosophe allemand, sur la finalité de l’architecture, qui est peut-être moins de nous protéger que de nous pousser à avoir une position dominante sur le monde...

Nous convoquerons les architectures mythiques, classiques, modernes et contemporaines pour les voir comme des dispositifs qui portent, qui soulèvent et qui permettent à l’humanité de se dépasser. Nous irons à Brasilia pour voir l’escalier hélicoïdal du Palais Itamaraty d’Oscar Niemeyer qui, sans le moindre garde-corps, imprime un mouvement ascensionnel à l’ensemble de l’espace. Nous irons à Berlin dans l’ambassade des Pays-Bas dont la circulation extérieure - composée d’un enchaînement de rampes, d’escaliers de coursives - entraîne le bâtiment dans une vaste spirale constamment alimentée par les flux de personnes qui entrent et sortent des bureaux et des salles de réunion...

L'ASCENSEUR

Samedi 5 mars 2022

Faisons la généalogie de l’ascenseur. Il trouve son origine dans les mines du XIXe siècle, puis il se développe sous différentes formes dans les attractions foraines. Un enfant de la balle adopté par les architectes et les promoteurs américains pour construire des immeubles de grande hauteur. Ces impresarios sans scrupule n’hésiteront pas à l’exploiter et à le brimer en l’emprisonnant dans les noyaux servants de leurs gratte-ciels et en l’empêchant d’avoir des accélérations brutales ou des sautes d’humeur. 

Amusons-nous à parcourir les œuvres des architectes qui connaissent son ADN festif et révolutionnaire et savent le mettre en évidence : les capsules de verre lancées comme des fusées dans les atriums piranésiens de John Portman aux États-Unis ou sous l’Arche de la Défense d’Otto von Spreckelsen, les show-rooms montés sur vérins de l’Hayek Center de Shigheru Ban à Tokyo, le lourd et lent monte-charge placé au-dessus de l’entrée de la Sperone Westwater Gallery réalisée par Foster à New-York ou encore les élévateurs conçus par Rem Koolhaas - à la Maison Lemoine à Bordeaux ainsi qu’au Lafayette Anticipations à Paris - qui renverse leur sujétion aux étages dont ils étaient les esclaves.

LE TUYAU

Samedi 20 mars 2022

Mais pourquoi parler des conduits et des tuyaux, ces intrus, ces tard-venus de la construction ? Imposés par les connexions à l’eau courante et au tout-à-l’égout ainsi que par la ventilation mécanique, ils ont envahi brutalement l’espace dès le XIXe siècle en perçant les murs ou en dégringolant inopinément des toitures pour en évacuer les eaux pluviales. Pourtant ces agents de la barbarie fonctionnelle, que l’on cherche à cacher par tous les moyens, nous apportent une eau baptismale, recueillent maternellement nos déjections et permettent le renouvellement de l’air vicié par nos miasmes...

LE RIDEAU

Samedi 16 avril 2022

Avec les lambris, les tapisseries et les tapis, les rideaux constituaient autrefois l’enveloppe interne douce et soyeuse des palais et des appartements bourgeois décrits par Walter Benjamin. Ils s’attachaient plus spécifiquement à filtrer et à apprivoiser la lumière crue tombant des ouvertures. Mais voilà qu’ils se sont arrachés à cette intimité pour mener une vie plus aventureuse et ont abandonné les tulles et les velours pour des matérialités plus rugueuses : textures métalliques chez Dominique Perrault, cuirs sombres chez Peter Zumthor... Ils sont aussi appréciés pour leurs qualités thermiques et peuvent être employés pour le contrôle des échanges entre intérieur et extérieur : en retenant la chaleur ou au contraire en la rejetant en fonction des saisons tout en impliquant l’habitant dans la tenue de son foyer. Et ils s'éloignent de la fenêtre pour devenir totalement autonomes. 

LES ÉLÉMENTS DE L'ARCHITECTURE II

CONFÉRENCES AU PAVILLON DE L'ARSENAL - DU 4 FÉVRIER AU 15 AVRIL 2023

Après l’escalier, l’ascenseur, le tuyau et le rideau, cette nouvelle saison de l'Université Populaire aborde la porte, la rampe, le balcon et le garde-corps... Ces éléments seront considérés comme des dispositifs orthopédiques cherchant à nous transformer, à nous éduquer. Ainsi la porte ne doit pas être comprise comme une simple découpe dans un mur mais comme un seuil qui nous prépare psychologiquement au passage d’un espace à un autre. Elle s’ouvre sans transition en jouant sur la surprise ou se développe comme une succession de séquences déterminant un parcours. De même, la rampe n’est pas une simple circulation, elle implique un mouvement presque processionnel, imprimant un rythme, une chorégraphie aux corps qui l’empruntent. Quant au balcon, il ne doit pas être appréhendé comme un simple prolongement du logement. C’est un espace autre, un lieu des possibles indispensable à la constitution de l’imaginaire d’une habitation contemporaine. Enfin le garde-corps, en empêchant les gens de tomber dans le vide et en les immunisant contre le vertige, réaffirme le caractère maternel et protecteur de toute architecture.


En parcourant des exemples puisés çà et là dans l’histoire et dans la production récente, nous verrons comment chacun de ces éléments hétérogènes cherche à se présenter comme principiel ...

LA PORTE

Samedi 4 février 2023

Certaines portes nous plongent immédiatement d’un milieu à l’autre : ainsi Check Point Charlie dans le Berlin des années 1961/1989 nous faisait basculer sans transition du pays de l’abondance vers celui de la pénurie... D’autres, au contraire, définissent de véritables rituels initiatiques, et nous préparent au changement d’ambiance. Ainsi à l’hôtel Thellusson - construit en 1978 à Paris par Claude-Nicolas Ledoux  - les visiteurs, après avoir franchi un arc de triomphe et suivis une voie lancée au-dessus d’un jardin escarpé, s’engouffraient dans une caverne avant d’atteindre le vestibule qui leur permettait de monter vers les espaces de réception. Un dispositif spatial convoquant tous les sens que l’on retrouvera dans de nombreux édifices contemporains comme : à Hambourg, à l’Elbphilharmonie ; à Paris, à l’Institut du Monde Arabe, au Conservatoire National ou à l’École d’Architecture de Paris Val de Seine...

LA RAMPE

Samedi 4 mars 2023

Sans l’effort physique que réclame l’escalier ou l’attente que nous impose souvent l’ascenseur, la rampe assure un passage d’une fluidité maximale entre des espaces placées à des hauteurs différentes. Minimisant les ruptures elle s’associe intimement au projet moderne qui milite en faveur d’un espace unifié, sans mur, ni porte et sans secret : un espace d’une fluidité absolue.
Claude Parent et Paul Virilio verront en elle dans les années 60 le moyen de dépasser certaines oppositions fondamentales : entre les constructions horizontales et verticales, entre les circulations et les pièces d’habitation... Elle leur permettra de théoriser la Fonction oblique et la Circulation habitable. Des notions radicales qui donneront lieu à des propositions utopiques et qui seront, trente ans plus tard, déradicalisées et rendues opératoires par Rem Koolhaas dans des projets très concrets:  le Kunsthal de Rotterdam (1992), l’Educatorium d’Utrecht (1995) ou le concours pour la Bibliothèque de Jussieu (1992).

LE BALCON

Samedi 25 mars 2023

Cet appendice qui met l’alignement des façades en crise, souvent considéré comme un dépôt ou sont exilés les réfrigérateurs en panne et les vélos, revient sur le devant de la scène après la période de confinement imposée par la récente pandémie.
Il apparait comme un reliquat du jardin de la maison individuelle, du paradis perdu ou de l’habitat à l’air libre de nos ancêtres nomades du paléolithique : un espace supplémentaire indispensable au déploiement de la dimension imaginaire de toute habitation.

 

LE GARDE-CORPS

Samedi 15 avril 2023

Mais pourquoi parler du garde-corps ? Inexistant dans l’architecture antique, il est un des cauchemars de l’architecte moderne : il semble uniquement avoir été inventé pour s’interposer au jeu savant correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière. Prosaïque et trivial, il ridiculise les expressions architecturales les plus radicales en leur rappelant cruellement à la réalité fonctionnelle et règlementaire.

Nous retracerons son épopée qui a eu ses heures de gloire pendant le Maniérisme et le Baroque, quand de grands créateurs comme Michel Ange ou Carlo Maderno lui ont donné ses lettres de noblesse en inventant la balustrade et en lui accordant une certaine autonomie.

Et nous nous interrogerons sur son avenir dans la société hyper-protectrice actuelle ainsi que de sa place dans une architecture contemporaine qui revendique souvent la banalité et l’ordinaire, des valeurs prescrites par Jacques Lucan et ses émules...

LES ÉLÉMENTS DE L'ARCHITECTURE III

CONFÉRENCES AU PAVILLON DE L'ARSENAL - DU 3 FÉVRIER AU 27 AVRIL 2024

Quel est le lien entre le sol, le baldaquin, la colonne et les toilettes ? Chacun de ces éléments de l’architecture est étroitement associé à une question d’ordre philosophique. Ainsi le sol renvoie-t-il à la nature animale de l’être humain qui vit en osmose avec son milieu. Mais contrairement au loup ou au renard, l’homme ne se contente pas de borner son territoire de ses déjections : il l’aménage et le modifie parfois de fond en comble pour obtenir les surfaces plates et lisses nécessaires à son épanouissement. Le baldaquin ou le dais se glissent au-dessus des têtes de certaines personnes pour les protéger, mais surtout pour les placer dans un environnement à leur mesure. Tandis que la colonne émerge du sol et se dresse afin de figer dans le marbre le moment inaugural où l’être humain en lutte contre l’attraction terrestre se lève sur ses pattes arrière pour dominer le paysage. Quant aux toilettes, elles rendent compte d’un autre corps : un corps qui ne se dresse pas en gloire mais qui s’accroupit pour se connecter aux multiples canalisations ombilicales qui s’enfoncent dans le sol afin d’évacuer ses déjections...

LE SOL

Samedi 4 février 2024

Replongeons-nous dans la peinture italienne ou flamande des XVe et XVIe siècles où s’étendent des sols plats et tramés composant de vastes échiquiers sur lesquels peuvent indifféremment se jouer diverses scènes religieuses ou profanes : annonciation, vierge à l’enfant, crucifixion ou mariage, repas de noces... Comme si ces surfaces plates et quadrillées étaient la condition sine qua non de tous ces évènements fictifs ou réels qui accompagnent la vie humaine. Comme s’il fallait déforester, épierrer, aplanir pour parvenir à l’espace géométrisé qui correspond au véritable milieu humain. Des sols tramés que nous retrouverons dans l’architecture du XXe siècle aussi bien dans la Große Strasse à Nuremberg - une avenue dallée aux dimensions comparables à celles des Champs-Élysées réalisée par Albert Speer en 1936, au milieu d’un parc, pour les parades et défilés militaires nazis - que dans les projets radicaux de Superstudio datant de l’après 68. Ou encore dans certaines réalisations contemporaines telles : le pont Simone Veil d’OMA à Bordeaux (2024) ; le réaménagement de la place de la République de TVK à Paris (2013) ou le Lieu de vie à Saclay dessiné par le Studio Muoto (2016)... Des sols qui peuvent aussi se soulever pour former des socles habitables, comme la Maison Malaparte (1937) d’Adalberto Libera à Capri ou la Maison de l’Infini (2014) d’Alberto Campo Baeza à Tarifa. Se suspendre, comme au musée d’art moderne de Lina Bo Bardi à São Paulo (1968), ou se superposer, comme à la Casa Alta (1969) de Sergio Bernardes à Rio de Janeiro...

LE BALDAQUIN

Samedi 2 mars 2024

Nous sommes infiniment petits et fragiles sous le ciel immense et cruel dont le soleil nous brûle, la foudre nous effraie et les pluies diluviennes nous glacent... Un élément intermédiaire est indispensable pour s’interposer entre nous et cette immensité : un ciel de substitution capable d’engendrer un monde à notre échelle, à l’image du fils du dieu de la religion chrétienne qui intercède entre les hommes et son père terrible et vengeur... C’est le sens de tous ces baldaquins éphémères dont rend compte la peinture Renaissance et classique, édifiés pour protéger les têtes couronnées, ou de ces multiples dais chargés de velours rehaussé de fils d’or et de perles qui viennent entourer les corps vulnérables des Vierges à l’enfant, notamment peintes par Jan Van Eyck... Des dispositifs que l’on retrouve aujourd’hui dans l’architecture contemporaine de nos sociétés démocratiques pour protéger et mettre en valeur les citoyens anonymes. Ainsi le drap de béton tendu entre deux rangées de pylônes par Alvaro Siza et Eduardo Soto de Moura pour l’Exposition Universelle de Lisbonne en 1998 ; la voute suspendue à son portique réalisée en 2002 par Paulo Mendes da Rocha sur la place des Patriarches à São Paulo ; l’ombrière-miroir en inox poli de Norman Foster flottant sur le quai du vieux port de Marseille (2013) ou le préau de la petite école Vieilley réalisé par Bernard Quirot en 2003 qui parvient à hisser les enfants à la hauteur des montagnes qui les entourent...

LA COLONNE

Samedi 30 mars 2024

Les mégalithes de Carnac se dressent vers le ciel sans se soumettre à une fonction quelconque comme s’ils déclaraient la guerre aux lois éternelles de la pesanteur pour inaugurer la transformation de la Terre en un vaste chantier permanent... Plus tard les colonnes doriques, ioniques ou corinthiennes célèbreront à leur manière le moment inaugural de la surrection humaine, en rappelant les proportions des corps herculéens, féminins ou adolescents... Elles sortiront de la masse indifférenciée du mur archaïque et s’affirmeront comme des éléments porteurs qui se refusent à fermer et à enclore pour promouvoir un espace anthropocentré dans lequel les êtres humains pourront s’ouvrir au monde, tout en restant protégés. Simplifiées et transformées - en grêles pilotis par Le Corbusier à la Villa Savoye en1929 ou en fin piliers cruciformes par Mies van der Rohe pour le Pavillon de Barcelone la même année - elles n’auront jamais cessé d’être interprétées et réinterprétées par les architectes. Ainsi les poteaux-nénuphars de Frank Lloyd Wright pour le siège de la Johnson Wax (1939) ou ceux arborescents de Marcel Breuer pour l’immeuble IBM à La Gaude (1962)... Les colonnes savent aussi se superposer en suivant les préceptes de Vitruve, comme l’illustre la façade du Colisée romain. Une leçon reprise par Alberti au Palais Rucellai à Florence (1451) sur laquelle méditent encore Rafael Moneo pour la façade de l’hôtel de ville de Murcia (1998), Christian Kerez pour son immeuble de bureau à Lyon Confluence (2018) ou l’agence NP2F pour l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires à Marseille (2023)...

LES TOILETTES

Samedi 27 avril 2024

Les urinoirs et les cuvettes de wc - qui viennent jusqu’à toucher les parties les plus intimes des hommes et des femmes pour mieux leur permettre d’évacuer leurs déjections dans d’immenses infrastructures souterraines - sont les seuls éléments de l’architecture à entretenir des relations de proximité aussi intenses avec les corps. Avec leurs formes ergonomiques et leurs multiples modèles conçus pour épouser au mieux les courbes des bas-ventres et des fesses, les sanitaires poussent l’architecture, par essence prude et coercitive, à s’aventurer hors de ses frontières... Au corps glorieux luttant contre la pesanteur promis pas les colonnes, elles substituent un corps accroupi et recroquevillé sur lui-même qui force pour accompagner l’expulsion de ses excréments comme s’il était entièrement soumis à la gravité... Une pesanteur très bien exprimée dans la salle des fêtes du restaurant Les Cols à Olot réalisée par l’agence espagnole RCR. Lancés entre deux soutènement massifs, distants de plus de trente mètres, des longs tubes d’acier portant une toiture légère s’infléchissent sous leur propre poids pour dessiner des des guirlandes tandis que les toilettes creusées comme des grottes dans les masses porteuses livrent sans médiation les clients accroupis au bruit et à la fureur du monde extérieur... Mais nous reviendrons aussi sur la dernière biennale de Venise ou plusieurs pavillons nationaux notamment ceux de la Finlande et de l’Allemagne présentaient des toilettes sèches et préconisaient le recyclage des excréments en introduisant un nouveau rapport au corps et à la nature...

© 2023 Richard Scoffier

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