Et si l'architecture - du plus petit logement au plus grand lieu de rassemblement - avait essentiellement pour fonction de réaliser des espaces fermés et protecteurs. D'ouvrir des îlots de calme et de sérénité à l'écart d'un monde de bruit et de fureur. D'élaborer des chrysalides capables d’engendrer à l'intérieur d'elles-mêmes, les milieux apaisés et sereins nécessaires au développement humain.

Revenons sur cette définition de l'architecture et retournons dans les cavernes néolithiques et leurs peintures rupestres, les villas palladiennes et leurs fresques bucoliques, les églises baroques et leurs paradis en trompe-l'œil, comme dans les bâtiments de très grande taille de l’architecture contemporaine. De Paul Virilio à Gottfried Willem Leibniz en passant par Peter Sloterdijk, écoutons les grands penseurs de la fermeture et du soin.

 

Redécouvrons les bunkers du Mur de l’Atlantique qui dessinent un dispositif de protection maximale. Comme l'affirme Paul Virilio : en abritant les hommes d’un déluge de métal et de feu, ils témoignent d'un retour paroxystique aux valeurs fondamentales de l'architecture. Sans jamais chercher une quelconque représentativité, ils s'affirment comme de simples gangues permettant aux corps qu’ils protègent de survivre dans un milieu d’une hostilité apocalyptique.

Revisitons les chapelles baroques qui voient leurs parois internes se froisser en de multiples plissements pour dessiner un monde plus profond et plus vertigineux que celui de la ville qui s’étend à l'extérieur. Elles illustrent la notion de "monade", théorisée par Leibniz au début du XVIIIe siècle, une entité "sans porte, ni fenêtre" qui contient la totalité de l'univers dans les plis et les replis de son enveloppe.

Interrogeons l'architecture contemporaine à la lumière des textes du philosophe Peter Sloterdijk afin de regarder d'un autre œil les condominiums et les gated communities venus d'Amérique et d'Asie comme les productions dystopiques des avant-gardes radicales des années 1960 ou les projets cyniques de Rem Koolhaas et de ses épigones. Pour mieux opposer aux impératifs d'ouverture et d'exposition ceux de fermeture et de protection, pour mieux penser la ville de demain en termes de monades urbaines et inventer d'autres types d’espaces communautaires, d'autres types de lieux de partage...