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LES ACTES FONDAMENTAUX III

CONFÉRENCE AU PAVILLON DE L'ARSENAL, 2021

Comme les années précédentes, nous allons revenir sur des actes triviaux qui nous paraissent naturels mais qui ne le sont pas. Parce qu’ils sont produits par des dispositifs architecturaux qui, telles les mains d’un sculpteur, les modèlent et leur donnent forme.    

 

Jardiner, soigner, punir, jouir... Entrons d’abord dans le jardin. Il peut apparaître, plus que la ville qui échappe toujours à ses auteurs, comme le but ultime de toute architecture. C’est un environnement composé sur mesure autour de l’être humain. Une nature de synthèse qui permet à l’homme de se développer de manière optimale, contrairement à la vraie nature qui ne tolère qu’à peine ce parasite en son sein. Puis, abordons les équipements qui soulagent et qui soignent : les hospices, les hôpitaux, les sanatoriums, les maisons de retraite. Ces lieux expriment de manière paroxystique la mission de protection et de sauvegarde qui semble au cœur de la discipline architecturale, rappelant ces appareillages - perfusions, électrocardiogrammes, respirateurs - chargés de maintenir la vie humaine envers et contre tout. Pourtant l’architecture est aussi liée à l’idée de contrainte, de coercition, de tutorat... C’est la porte que nous franchissons dans le troisième volet de cette tétralogie, en entrant dans les prisons et les maisons de correction. Enfin, abordons la question de la jouissance et du plaisir. Des actes que les constructions semblent incapables d’assouvir autrement qu’en s’offrant à la destruction : démolition de la Bastille, incendie des Tuileries ou pillage des Champs-Élysées.

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1 - JARDINER

 

Paradoxalement, c’est dans le jardin que l’architecte devrait trouver son plein accomplissement, dans un savoir-faire qui n’est pas le sien mais celui du jardinier ou du paysagiste. Le Paradis, décrit dès les premières pages de l’Ancien Testament comme le lieu pour lequel l’homme a spécialement été créé est un mot dont l’étymologie est persane. Il désigne des fragments de nature luxuriante ceints de murs et placés en plein déserts, où plantes et animaux se développent librement autour de bassins alimentés par des canaux souterrains collectant l’eau des montagnes alentour. Des espaces vivants que les empereurs perses s’enorgueillissaient de construire alors que d’autres s’épuisaient à élever des pyramides, des monuments aussi morbides que stériles. Reprenant cette tradition, Louis XIV a ainsi établi à Versailles plus qu’un palais : un immense parc, convoquant toute la technologie de pointe de son temps, pour capter les eaux nécessaires au jaillissement de ses multiples fontaines.

Ce qui nous permet de dégager une autre origine de l’architecture : ni grecque, ni égyptienne, mais perse ou babylonienne. Une origine plus en phase avec les aspirations des citadins d’aujourd’hui qui fuient les agoras et les colonnades de marbre pour se réfugier dans les jardins publics, leurs les toits plantés ou les rebords de fenêtre fleuries...

2 - SOIGNER

 

Revenons sur l’hôpital, sur son passé et son avenir. Issu du lazaret et de l’hospice où étaient simplement mis à l’écart les populations déviantes, malades ou contaminées par les épidémies, il s’est peu à peu transformé en Machine à guérir pour reprendre l’expression de Michel Foucault. Un équipement médical qui trouvera son apothéose dans le sanatorium, où, avant l’invention de la pénicilline, les patients étaient exposés à l’air et à la lumière pour guérir de la tuberculose.

Mais voyons aussi ces équipements comme des mécanismes capables de reproduire des ambiances paradisiaques autour des corps malades, comme celles promises par Le Corbusier dans sa nappe en suspension au-dessus des eaux de Venise, et surtout les vastes espaces horizontaux, ouverts et ventilés, construits au Brésil par Joao Figueras Lima - dit Lelé - pour les accidentés de la route. Avant d’aborder les réglementations PMR qui transforment les parcs de logements en d’immenses espaces médicalisés potentiels, ainsi que la place de l’hôpital dans la ville d’aujourd’hui de nouveau confrontée aux pandémies.

3 - PUNIR

 

Interrogeons Georges Bataille. Les architectes ne dessinent-ils pas que des prisons, des maisons de redressement et des mécanismes de surveillance ? Des espaces qui, comme nous l’avons abordé les années précédentes, nous éloignent par la contrainte et par la force de notre bestialité originelle. Des prothèses qui nous poussent à nous laver, à manger et à dormir à heures fixes, mais aussi à lire et à écrire - à préférer le signe à la chose - à chanter au lieu de hurler...

Parcourons ces mécanismes conçus pour nous élever, comme le célèbre Panopticon de Jeremy Bentham : un dispositif de contrôle destiné à être intériorisé par les détenus pour leur permettre d’acquérir la conscience dont ils étaient supposés démunis... Ou l’enclave enfermant les Prisonniers volontaires de l’architecture, la prison prothétique dessinée par Rem Koolhaas pour son diplôme et qui qu’il ne cessera par la suite de reproduire dans ses projets.

Questionnons l’esthétique du sublime qui trouve son origine non dans le plaisir - comme celle du beau - mais dans la souffrance et l’angoisse. Passons par Jean Nouvel et ses dispositifs spatiaux qui déterritorialisent et déracinent leurs occupants pour leur faire accomplir la révolution Galiléenne, en leur faisant comprendre que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse. Terminons au Qatar par un projet non réalisé d’OMA visant, dans un sadisme total, à humaniser des chevaux de courses en les plaçant face à la tragédie de l’existence.  

4 - JOUIR

 

Soyons sérieux ! Quelle architecture peut prétendre produire de la jouissance, quand celle-ci trouve sa raison d’être dans la transgression de toutes les règles. Elle apparait à travers les obsessions pornographiques qui contaminent les projets dessinés de Jean-Jacques Lequeue alors que ses confrères les exilent prudemment en marge de leurs plans. Des provocations qui anticipent l’architecture molle et poilue invoquée par Salvador Dali pour prendre la relève de l’architecture orthogonale et protestante de Le Corbusier. Un refus de l’angle droit dans lequel s’engouffrerons, autour des années 68, les Häusermann, Chanéac, Kalouguine, Antti Lovag avec leurs coques sensuelles de béton projeté. 

Nous retrouverons cette transgression dans les dispositifs cherchant à provoquer de la disjonction et de la disruption construits par Bernard Tschumi pour le Parc de la Villette à l’aube des années 80. Ou encore dans les surfaces lisses et carroyées, dessinées par Superstudio, pour offrir des espaces non-coercitifs strictement ouverts à tous les possibles...

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