top of page

MANIÈRES DE CONSTRUIRE DES MONDES III

CONFÉRENCE AU PAVILLON DE L'ARSENAL, 2015

Les architectes sont des auteurs à part entière au même titre que les peintres, les écrivains, les cinéastes. Comme eux, ils créent des mondes. Nous allons poursuivre l’exploration de leurs univers dans cette nouvelle série de cours. Des cours dont l’ambition est avant tout de faire de la culture architecturale une culture commune et partagée. Après avoir analysé les œuvres d' architectes français et européen nous vous proposons cette année d’interroger les travaux d'architectes venus d'autres continents qui ont réalisé ou simplement dessiné des projets pour Paris:

Deux Américains, Frank Gehry et Peter Eisenman; deux Japonais Kzuyo Sejima et Ryue Nishizawa et enfin une Irakienne vivant à Londres, Zaha Hadid. Ces architectes incarnent des manières tr!s différentes d'aborder la discipline mais cherchent tous à repenser la ville, ainsi que les relations que l'architecture entretien à la construction, à la fonction et à l'usage.
Frank Gehry, véritable Picasso de l'architecture, est sans doute l'architecte de ce début du XXIe siècle dont la démarche se rapproche le plus de celle de l'artiste en majesté. A l'opposé, Peter Eisenman plus abstrait, réfléchit dans des projets souvent introvertis aux multiples correspondances entre architecture et écriture. Kazuyo Sejima et Ryue Nishisawa, eux , reviennent sur la transparence de l'époque moderne pour lui donner une expression organique et réaliser des bâtiments diaphanes. Tandis que Zaha Hadid tend à accorder une échelle territoriale à chacune de ses oeuvres , même la plus urbaine et la plus modeste, pour mieux lui permettre d'exprimer les flux migratoires d'ampleurs diverses qui courent à la surface du globe. 

  • Spotify Icône sociale

1 - FRANK GEHRY - FORMES

Sans doute l'architecte par excellence de la forme, il s'inscrit à l'articulation de la quête corbuséenne des objets à réaction poétique et de l'art du collage, de l'assemblage, de l'accumulation...
Un amoureux des ustensibles les plus triviaux aussi, comme Claes Oldenburg avec lequel il a souvent collaboré, notamment pour la paire de jumelles agrandie de l'agence Chiat/Day à Santa Monica. Une démarche ludique et décompléxée qui peut paraître très proche de l'art contemporain et dans laquelle l'espace architectural et urbain européen tend à l'atrophie pour mieux s'apparenter au vide d'une scène, à la blnahcuer d'une cimaise. Une démarcge qui a su évoluer et subir de multiples mutations. Elle s'exprime aujourd'hui à travers des constructions qui s'apparentent souvent à des phénomènes naturels. Ainsi les soulèvements telluriques du Guggenheim qui surgissent de la vallée du Nervion à Bilbao ou les nuages de verre de la Fondation Louis Vuitton qui flottent au-dessus de la canopée du Bois de Boulogne. 

 

2 - TRACES - PETER EISENMAN

 

Si Gehry est l’architecte de la présence, sans doute pourrait-on considérer Peter Eisenman comme celui de l’absence. Ses projets dessinés, comme ses maquettes et ses réalisations expérimentales, renoncent obstinément à toute plénitude pour mieux mettre en exergue leurs contradictions.

Comme s’ils voulaient se libérer des valeurs transcendantales - fondation, surrection, intériorisation… auxquelles l’architecture est assujettie depuis son origine… Trames en rotation, strates superposées, cubes évidés et découpés : les formes s’autogénèrent dans une relative indifférence au contexte comme à l’usage. L’acte de construire est assimilé à la production d’un système de traces proche de l’écriture et qui rapproche le rôle de l’architecte de celui de l’essayiste ou du critique. Comme en témoigne sa collaboration avec le philosophe Jacques Derrida pour l’un des jardins thématiques du Parc de la Villette à Paris qui ne verra malheureusement jamais le jour

3 - TRANSPARENCES - SANAA

 

Donnant une consistance organique à la transparance, Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa proposent de dépasser l'opposition du vide et du plein par la production de compositions diaphanes qui savent subrepticement nous entourer sans jamais s'imposer. Des constructions qui renoncent à la forme pour s’apparenter à des milieux amniotiques dans lesquels les occupants ne sont pas placés mais plongés. Pas de portes, ni de fenêtres, pour le Rolex Learning Center de Lausanne : mais des collines et des vallées, comme si le relief alentour avait été aspiré dans une cloche de verre pour composer un étonnant paysage intérieur totalement dédramatisé. Ailleurs, la Galerie du Temps du Musée du Louvre-Lens s'apparente à un véritable dispositif orthopédique permettant l'immersion en apnée des visiteurs dans plus de 2500 ans de création artistique. Des réalisations qui semblent exprimer une connexion entre le Ma - l'espace/temps traditionnel japonais- et la Khôra, cet espace d'avant l'espace que Platon décrit dans le Timée. Une étendue sans qualification ni forme, une couveuse qui donne la possibilité à chacun de créer ses propres mondes. 

4 - FLUIDITÉS : ZAHA HADID

 

Prônant une autre forme de relève des architecture de la présence et de l'absence, Zaha Hadid a commencé par fragmenter la masse construite en une infinité de facettes colorées souvent trapézoïdales et infléchies. Ses premiers projets poussent ainsi à son paroxysme de la décomposition des volumes en surfaces initiées par Gerrit Rietveld et le Néoplasticisme. Des compositions empreintes d'une certaine fragilité et porteuses d'une puissance de dissémination radicale: en état d'explosion permanente, elles traduisent un univers labile en extension constante. Une fragilité à laquelle il sera ensuite remédié, dans la seconde partie de sa carrière, par l'utilisation d'un nouveau langage architectural basé sur des formes tendues et étirées rendant compte - mais d'une autre manière - de la même volonté de déconstruction de l'objet architectural. Dans un monde où la démographie s'oppose à la démocratie, le global du local, l'économique au politique, Zaha Hadid a su inséminer à même le territoire des formes fluides et anti-urbaines pour s'affirmer comme l'architecte, non du rassemblement et de l'échange, mais du nomadisme immobile, de l'exode, de la diaspora... 

© 2023 Richard Scoffier

bottom of page