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LES ACTES FONDAMENTAUX I

CONFÉRENCES AU PAVILLON DE L'ARSENAL 2019

Se laver pour être propre ; travailler pour gagner de l’argent ; dépenser pour acquérir ce dont on a besoin ; dormir pour se reposer : ces actes triviaux semblent désespérément évidents… Ils portent en eux cependant une part obscure que dévoilent les édifices publics qui leur sont dédiés, comme si chacun de ces rituels tendait vers une exclusivité presque fanatique.


Se laver, se purifier, plonger dans l’eau du baptistère ou de la piscine pour retrouver ce sentiment océanique dont Freud nous dit qu’il serait à l’origine de toute religion… Travailler : s’engager dans un projet commun et abstrait qui possède souvent propre langage codé qu’il soit scientifique, juridique, commercial ou autre. Se sentir happé par un univers qui nous dépasse et nous transcende…
Acheter, non plus, n’a rien d’anodin. À la fois souffrance et plaisir ; à la fois sacrifice et bénéfice : perte d’un argent durement acquis et gain de l’objet ou du service parfois ardemment convoité. C’est pour cela que les échanges réclament une ambiance si spécifique, si étudiée dans toutes les civilisations. Dormir enfin… Mais pas avec n’importe qui… S’abandonner au sommeil dans son milieu : moines, étudiants, retraités, colocataires ou copropriétaires murement choisis. Comme si la perte de conscience ne pouvait s’opérer qu’à l’intérieur d’une communauté rigoureusement homogène.

SE LAVER 

Samedi 26 janvier 2019

Que faisait-on exactement dans les thermes romains ? Et pourquoi le rapport à l’eau est-il si important dans toutes les religions que ce soit le mikveh des juifs, le baptême des chrétiens, les ablutions avant la prière des musulmans ? Se laver : à fois un acte social dans les saunas, les hammams, mais aussi un geste profondément religieux, comme en témoignent les aspersions d’eau bénite, les immersions dans les fonds baptismaux… Comme si, sous prétexte d’hygiène, surgissait la volonté de se transformer, de ne pas rester cantonné dans l’état de nature, de se reconstruire, de renaître, de changer sa vie…
C’est à travers ces filtres que nous aborderons les bains et les piscines publics d’aujourd’hui : le bassin encastré dans les rochers de la côte atlantique d’Alvaro Siza ou les thermes de Vals de Peter Zumthor, les Bains des Docks de Jean Nouvel au Havre ou l’Aqualagon de Jacques Ferrier à Val d’Europe.

TRAVAILLER

Samedi 16 février 2019

Les plateaux de bureaux ont, dès leur origine, été pensés comme des dispositifs orthopédiques poussant leurs occupants à donner le meilleur d’eux-mêmes. Ce sont des milieux accueillants et subtilement coercitifs, où tout est conçu pour que les employés puissent se développer à travers leur travail. Ainsi bénéficient-ils de la meilleure lumière naturelle ; de la température idéale ; du volume de vide suffisant pour exécuter leur répertoire de gestes programmés, sans se sentir oppressés, ni stressés.
En témoignent les espaces paysagers conçus par Frank Lloyd Wright pour le Larkin ou le Wax Johnson Building vastes et lumineux comme des serres pour que les secrétaires rivées à leurs machines à écrire parviennent à un rendement optimal, tout en se surveillant discrètement les unes les autres. Ou les bureaux de l’agence BECT à Pantin : ici, associés et employés vivent en osmose comme des nomades. Ils passent des hautes tables où ils travaillent souvent debout, aux chaises du restaurant ou du café, aux transats isolés des terrasses plantées, aux profonds fauteuils insonorisés…

Des lieux de travail qui peuvent être considérés comme des laboratoires et servent de modèle à d’autres équipements. Ainsi écoles, bibliothèques, logements tendent à s’organiser selon les mêmes principes…

ACHETER

Samedi 16 mars 2019

Walter Benjamin, Karl Marx, Émile Zola : chacun a vu à sa manière la ville se modifier sous ses yeux incrédules. Moins tournée sur les individus, les métiers que sur le sacre perpétuel des objets. La vitrine éclairée au gaz de ville qui s’arrache à la nuit, le passage protégé de la boue et des intempéries comme des autres aléas de la rue, puis le grand magasin qui s’affirme comme une réminiscence du souk ou du bazar oriental mais aussi comme un véritable opéra…

Où, sous l’éclairage naturel tombant en cascade de ses verrières peut s’entendre le chant muet de la marchandise. Un monde hypnotique, hallucinatoire…

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Quand on nous promet sur l’une des dernières terres agricoles d’Île-de-France un immense centre commercial et culturel, quand les commerces sortent de leurs gonds et quittent leurs sites urbains pour investir les autoroutes, les aéroports et les gares afin de capter à la source les flux des acheteurs potentiels…

DORMIR

Samedi 6 avril 2019

Revenons sur l’habitat communautaire : sur les monastères, sur les phalanstères et leurs avatars, comme sur les logements expérimentaux imaginés par les constructivistes russes et sur les tours capsules inventées par les métabolistes japonais. Revenons sur ces expériences radicales qui ont su développer des mondes clos dans lesquels des populations homogènes pouvaient vivre dans se mélanger. Prisonniers volontaires de l’architecture - comme les moines ou les étudiants révolutionnaires - ou assignés involontaires à résidence comme les détenus dans leurs prisons, les malades dans leurs hôpitaux et les personnes âgés dans leurs maisons de retraites.


Un retour aux sources qui devrait nous permettre de mieux comprendre l’habitat collectif d’aujourd’hui qui tend irrémissiblement à se spécialiser : jeunes travailleurs, femmes battues, étudiants, familles de même niveau social, retraités, mourants…

LES ACTES FONDAMENTAUX II

CONFÉRENCES AU PAVILLON DE L'ARSENAL 2020

Manger, recevoir, éduquer, se recueillir : tous ces actes réclament des espaces dédiés pour s’accomplir et s’institutionnaliser. Manger nécessite des pièces spécifiques – cuisine et salle éponyme – mais implique en amont l’aménagement de l’ensemble du territoire : les champs, où les plantes sont cultivées et les animaux élevés, ainsi que les mers où les poissons sont péchés.

Recevoir met en crise la finalité d’une habitation originellement pensée comme un système de défense pour y faire pénétrer l’ami, mais aussi l’étranger et l’ennemi potentiel. Éduquer, c’est construire des espaces à part possédant leurs propres règles où enfants, adolescents, jeunes adultes pourront développer leurs facultés afin de devenir techniquement de plus en plus performants et socialement de plus en plus responsables. Quant à se recueillir, c’est l’acte qui permet d’approcher au plus près l’impulsion neutre et impérative qui nous pousse constamment à nous élever au-dessus du monde et des choses.

MANGER

Samedi 1 février 2020

Restaurants, cuisines, commerces, autoroutes, marchés d’intérêt national, abattoirs et champs à perte de vue : la terre entière a été implacablement organisée pour que nous puissions nous nourrir à intervalles réguliers et ne jamais être dominés par la faim comme nos lointains ancêtres, les chasseurs-cueilleurs du néolithique qui passaient leur vie à la recherche exclusive de leur subsistance.

Mais manger c’est aussi un corpus de gestes codifiés qui font l’objet d’un long apprentissage. Une pratique, prescrite par de nombreux interdits, qui réclame impérativement de s’effectuer sous le contrôle d’une communauté. Un acte, qui de plus subsume le besoin animal de dévorer sous le plaisir esthétique de goûter.

RECEVOIR

Samedi 29 février 2020

Comment penser l’introduction de corps étrangers dans un espace privé qui conserve toujours dans ses tréfonds la mémoire du nid, de l’antre, de la tanière ? Nous nous rappellerons du Terrier, la nouvelle de Franz Kafka, dont le personnage principal – humain ou animal – vit dans une galerie souterraine, hanté par la terreur d’une intrusion fatale. Et nous reviendrons sur les différentes manières d’inviter les autres à pénétrer dans son propre territoire tout en les maintenant savamment à distance. Un double mouvement qui conditionne l’organisation de l’habitat traditionnel méditerranéen comme les constructions modernes et contemporaines.

Nous analyserons comment les maisons iconiques de Le Corbusier, Ludwig Mies van der Rohe, Oscar Niemeyer, Lina Bo Bardi et Paulo Mendes da Rocha ou celles plus récentes de Lacaton & Vassal, Éric Lapierre et Valerio Olgiati, réglementent l’accès des autres dans leur intimité. Sans oublier que l’hospitalité reste au fondement du projet démocratique. Comme le met en évidence la double signification du mot hôte qui définit aussi bien celui qui reçoit que celui qui est reçu.

ÉDUQUER

Samedi 14 mai 2020

Comme le rappelle Peter Sloterdijk, le petit d’homme naît avant terme contrairement à la progéniture de la plupart des autres animaux. Il doit impérativement être éduqué pour espérer parvenir à maturité, et apprendre les gestes nécessaires à sa survie comme à celle de son espèce. Ainsi des bras de la mère et des autres membres de la communauté, puis les prothèses architecturales – écoles, collèges, lycées, universités – doivent lui permettre de se constituer comme un sujet libre et souverain dans un monde en perpétuelle évolution.

Nous passerons rapidement sur les différents types de lieux d’enseignement pour nous attarder sur ceux qui forment les architectes. Ainsi à Rio de Janeiro l’école d’architecture de Jorge Machado Moreira (1957) se définit-elle comme un palais pour futurs héros de la modernité, tandis qu’à São Paulo celle de Villanova Artigas (1961) s’affirme comme un gigantesque plafond à caissons lancé au-dessus d’un immense espace de travail. Des exemples qui nous permettrons de mieux saisir les enjeux portés par les établissements d’aujourd’hui que ce soit celui de Fréderic Borel à Paris, de Bernard Tschumi à Marne-la-Vallée ou de Lacaton & Vassal à Nantes.

SE RECUIEILLIR 

Samedi 20 mai 2020

La cuisine, le salon, la salle de classe : tous ces espaces peuvent être assimilés à des incubateurs, des accélérateurs aidant l’espèce humaine à s’arracher à sa condition animale. Et c’est essentiellement comme des appareillages imaginés pour permettre aux hommes et aux femmes de s’élever que nous aborderons les lieux de prière et de recueillement.

 

Nous passerons des colonnes sur lesquelles se hissaient les anachorètes – à l’instar de Saint Siméon le Stylite – aux compositions vertigineuses de Guarino Guarini pour la Chapelle du Saint-Suaire à Turin et des frères Asam pour l’église Saint-Jean-Népomucène à Munich. Des dispositifs repris et réactualisés par Paul Virilio et Claude Parent qui font pencher les sols de Sainte Bernadette de Nevers pour accentuer le mouvement des fidèles vers l’autel, ou par Peter Zumthor qui redresse les corps des pèlerins sous la lumière zénithale trouant son bloc de béton votif posé à la lisière des champs et de la forêt. Une aspiration à l’élévation que l’on retrouve encore dans certains espaces laïques, notamment le grand vide sombre et silencieux élevé par Louis Kahn au coeur de la bibliothèque d’Exeter.

LES ACTES FONDAMENTAUX III

CONFÉRENCES AU PAVILLON DE L'ARSENAL 2021

Comme les années précédentes, nous allons revenir sur des actes triviaux qui nous paraissent naturels mais qui ne le sont pas. Parce qu’ils sont produits par des dispositifs architecturaux qui, telles les mains d’un sculpteur, les modèlent et leur donnent forme.    

 

Jardiner, soigner, punir, jouir... Entrons d’abord dans le jardin. Il peut apparaître, plus que la ville qui échappe toujours à ses auteurs, comme le but ultime de toute architecture. C’est un environnement composé sur mesure autour de l’être humain. Une nature de synthèse qui permet à l’homme de se développer de manière optimale, contrairement à la vraie nature qui ne tolère qu’à peine ce parasite en son sein. Puis, abordons les équipements qui soulagent et qui soignent : les hospices, les hôpitaux, les sanatoriums, les maisons de retraite. Ces lieux expriment de manière paroxystique la mission de protection et de sauvegarde qui semble au cœur de la discipline architecturale, rappelant ces appareillages - perfusions, électrocardiogrammes, respirateurs - chargés de maintenir la vie humaine envers et contre tout. Pourtant l’architecture est aussi liée à l’idée de contrainte, de coercition, de tutorat... C’est la porte que nous franchissons dans le troisième volet de cette tétralogie, en entrant dans les prisons et les maisons de correction. Enfin, abordons la question de la jouissance et du plaisir. Des actes que les constructions semblent incapables d’assouvir autrement qu’en s’offrant à la destruction : démolition de la Bastille, incendie des Tuileries ou pillage des Champs-Élysées.

JARDINER

Samedi 6 février 2021

Paradoxalement, c’est dans le jardin que l’architecte devrait trouver son plein accomplissement, dans un savoir-faire qui n’est pas le sien mais celui du jardinier ou du paysagiste. Le Paradis, décrit dès les premières pages de l’Ancien Testament comme le lieu pour lequel l’homme a spécialement été créé est un mot dont l’étymologie est persane. Il désigne des fragments de nature luxuriante ceints de murs et placés en plein déserts, où plantes et animaux se développent librement autour de bassins alimentés par des canaux souterrains collectant l’eau des montagnes alentour. Des espaces vivants que les empereurs perses s’enorgueillissaient de construire alors que d’autres s’épuisaient à élever des pyramides, des monuments aussi morbides que stériles.

Ce qui nous permet de dégager une autre origine de l’architecture : ni grecque, ni égyptienne, mais perse ou babylonienne. Une origine plus en phase avec les aspirations des citadins d’aujourd’hui qui fuient les agoras et les colonnades de marbre pour se réfugier dans les jardins publics, leurs les toits plantés ou les rebords de fenêtre fleuries...

SOIGNER

Samedi 27 février 2021

Revenons sur l’hôpital, sur son passé et son avenir. Issu du lazaret et de l’hospice où étaient simplement mis à l’écart les populations déviantes, malades ou contaminées par les épidémies, il s’est peu à peu transformé en Machine à guérir pour reprendre l’expression de Michel Foucault. Un équipement médical qui trouvera son apothéose dans le sanatorium, où, avant l’invention de la pénicilline, les patients étaient exposés à l’air et à la lumière pour guérir de la tuberculose.

Mais voyons aussi ces équipements comme des mécanismes capables de reproduire des ambiances paradisiaques autour des corps malades, comme celles promises par Le Corbusier dans sa nappe en suspension au-dessus des eaux de Venise, et surtout les vastes espaces horizontaux, ouverts et ventilés, construits au Brésil par Joao Figueras Lima - dit Lelé - pour les accidentés de la route. Avant d’aborder les réglementations PMR qui transforment les parcs de logements en d’immenses espaces médicalisés potentiels, ainsi que la place de l’hôpital dans la ville d’aujourd’hui de nouveau confrontée aux pandémies.

PUNIR

Samedi 20 mars 2021

Interrogeons Georges Bataille. Les architectes ne dessinent-ils pas que des prisons, des maisons de redressement et des mécanismes de surveillance ? Des espaces qui nous éloignent par la contrainte de notre bestialité originelle. Des prothèses qui nous poussent à nous laver, à manger et à dormir à heures fixes, mais aussi à lire et à écrire - à préférer le signe à la chose - à chanter au lieu de hurler...

Parcourons ces mécanismes conçus pour nous transformer, comme le célèbre Panopticon de Jeremy Bentham : un dispositif de contrôle destiné à être intériorisé par les détenus pour leur permettre d’acquérir la conscience dont ils sont supposés démunis... Ou l’enclave enfermant les Prisonniers volontaires de l’architecture, le projet de diplôme de Rem Koolhaas qu’il ne cessera par la suite de reproduire dans tous ses travaux.

Questionnons l’esthétique du sublime qui trouve son origine non dans le plaisir - comme celle du beau - mais dans la souffrance et l’angoisse. Terminons par Jean Nouvel et ses dispositifs spatiaux qui déracinent leurs occupants, en leur faisant comprendre que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse. 

JOUIR

Samedi 10 avril 2021

Soyons sérieux ! Quelle architecture peut prétendre produire de la jouissance, quand celle-ci trouve sa raison d’être dans la transgression de toutes les règles. Elle apparait à travers les obsessions pornographiques qui contaminent les projets dessinés de Jean-Jacques Lequeue alors que ses confrères les exilent prudemment en marge de leurs plans. Des provocations qui anticipent l’architecture molle et poilue invoquée par Salvador Dali pour prendre la relève de l’architecture orthogonale et protestante de Le Corbusier. Un refus de l’angle droit dans lequel s’engouffrerons, autour des années 68, les Häusermann, Chanéac, Kalouguine, Antti Lovag avec leurs coques sensuelles de béton projeté.

 

Nous retrouverons cette transgression dans les dispositifs cherchant à provoquer de la disjonction et de la disruption construits par Bernard Tschumi pour le Parc de la Villette à l’aube des années 80. Ou encore dans les surfaces lisses et carroyées, dessinées par Superstudio, pour offrir des espaces non-coercitifs strictement ouverts à tous les possibles...

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